Un film écrit et réalisé par Alain Mazars.
Documentaire.
Produit par MOVIE DA.
Co-produit/diffusé par CINE CINEMA.
Sélection officielle du Festival de Venise 2015 et du Festival de Locarno 2017
Musique : Jessica Mazars.
Il y a "un mystère Jacques Tourneur". D'où vient cette croyance dans le monde invisible et le surnaturel chez ce réalisateur pourtant très ancré dans le réel ?
Quand Jacques Tourneur disait dans une interview : "beaucoup de gens vivent dans la peur et ils ne le savent pas", pourrait-on imaginer que malgré cette apparente sérénité de son comportement, il vivait lui-même dans cette peur permanente et que ses films étaient un moyen de l'exorciser ?
En même temps qu'un portrait de Jacques Tourneur à travers ses films, ce documentaire - filmé en noir et blanc haute définition 4 K - est aussi une enquête sur l'inspiration du cinéaste à travers les témoignages de personnalités qui se sont passionnées pour son oeuvre - N.T Binh, Frank Lafond, Joël Farges, Serge Le Péron, Gilles Menegaldo, Pierre Rissient, Philippe Rouyer, Dominique Rabourdin et Bertrand Tavernier - mais aussi le psychanalyste Roger Dadoun.
Pourquoi avoir appelé votre film JACQUES TOURNEUR, LE MÉDIUM (filmer l'invisible)
La première image de ce documentaire représente une séance de spiritisme. C'est une photographie extraite du film "Rendez-vous avec la peur". Avant de réaliser ce film, Jacques Tourneur a rencontré beaucoup de sorciers et médiums. Il était très intéressé par les mondes parallèles. L'un de ses derniers projets qu'il n'a malheureusement pas pu concrétiser, traduit bien cette attirance. Mais quand il disait qu'il croyait au monde invisible, il est difficile d'affirmer à quoi il se référait très précisément parce qu'il avait aussi un esprit très rationnel. On peut donc voir ses films comme une approche scientifique de phénomènes irrationnels. Je pense que la théorie de l'inconscient collectif de Jung a eu une vraie influence sur lui. C'est évident concernant ses films produits par Val Lewton, reliés à la littérature et au cinéma fantastiques. Mais c'est aussi vrai de tous ses autres films appartenant à d'autres genres : westerns, thrillers, drames réalistes, films d'aventures. Tous ses films expriment quelque chose de l'inconscient collectif, dont le point de départ n'est autre que l'inconscient de Jacques Tourneur lui-même. Il travaillait sur la façon dont le cinéma peut fasciner le spectateur dans son subconscient, en stimulant son imaginaire. Il le faisait d'une façon poétique, subtile et mystérieuse, très distincte de celle des films fantastiques et d'horreur traditionnels.
Pourquoi ne pas avoir montré des extraits d'un entretien filmé de Jacques Tourneur ?
Il y a une énigme "Jacques Tourneur" et montrer celui-ci par des extraits de son unique interview filmée aurait affaibli cette sensation de mystère que je voulais exprimer. Selon le célèbre psychanalyste Jung, l'art est une fenêtre ouverte sur l'inconscient et je pense que l'oeuvre de Jacques Tourneur en est une illustration parfaite. Le but du dispositif de ce film est de suggérer la présence fantomatique de ce cinéaste de l'invisible. Je souhaite que le spectateur de ce documentaire soit comme convié à une séance de spiritisme réunissant des fans de ses films. Pour moi, il ne s'agit pas seulement de proposer un portrait de Jacques Tourneur à travers ses films, mais aussi de suggérer comment ceux-ci agissent sur l'imaginaire des spectateurs. Durant le tournage, j'ai décidé de créer une atmosphère pouvant suggérer l'idée que le fantôme de Jacques Tourneur pourrait nous rendre visite, comme s'il s'agissait d'une vraie séance de spiritisme. C'est donc aussi un documentaire sur la fascination des fans de son oeuvre, qui sont convoqués devant la caméra pour jouer le rôle de médiums, comme le feraient des acteurs.
Parallèlement à l'enquête sur l'inspiration du cinéaste, j'ai eu l'impression que se déroulait une sorte d'introspection de chacun de mes invités au fur et à mesure qu'ils se remémoraient ses films. Et c'est là que réside la force du cinéma de Jacques Tourneur : , ses films font resurgir des émotions intimes enfouies dans le passé des spectateurs de ses films.
Parmi les nombreux fans du cinéaste, j'ai donc choisi dix cinéphiles passionnés très distincts les uns des autres: des critiques chevronnés (N.T Binh et Philippe Rouyer), des réalisateurs qui ont été critiques avant de devenir cinéastes (Bertrand Tavernier, Pierre Rissient, Dominique Rabourdin, Joël Farges, Serge Le Péron), des historiens du cinéma et professeurs d'université (Frank Lafond, Gilles Menegaldo), mais aussi un psychanalyste ( Roger Dadoun). Ils ont accepté avec générosité de participer à cette expérience particulière en exprimant avec beaucoup de précision et de clarté leur relation intime avec l'oeuvre de Jacques Tourneur. Je ne peux que leur en être reconnaissant.
Pourquoi avoir choisi de construire votre documentaire à rebours en partant des dernières oeuvres du cinéaste et pourquoi avoir tourné en noir et blanc ?
Ce documentaire est une enquête sur les racines de l'inspiration du cinéaste. Aussi m'a-t-il semblé naturel et logique de partir de ses derniers films pour remonter à ses débuts et à son enfance.
Comme la plupart des films de Jacques Tourneur sont en noir et blanc, je ne voulais pas de rupture entre les interventions de mes "médiums" invités et les photographies ou extraits de films.
La magie de l'oeuvre de Jacques Tourneur repose sur le mystère. Et à l'issue du tournage de ce documentaire, il est apparu évident que l'art de ce cinéaste ne peut qu'échapper, pour l'essentiel, aux multiples tentatives d'analyse de son fonctionnement.
J'aime l'idée que le spectateur puisse appréhender un documentaire sur un plan subjectif. Un documentaire n'est pas contraint de se limiter à informer. Il peut aussi stimuler l'imaginaire du spectateur, comme peut le faire un film de fiction.