Phipop 2005, 90 minutes

Scénario, réalisation, image et montage : Alain Mazars
Sélection ACID du Festival de Cannes 2005 et du FIPA 2006.

Synopsis

C'est le journal d'un routard traversant des villages et forêts du Laos. La rencontre d'une mendiante et de sa fille surnommée LA NONNE AVEUGLE dont l'histoire ressemble à un conte des plus bizarres, amène notre voyageur à vivre un étrange phénomène de possession. Pour la plupart des laotiens (et pour la grande majorité des habitants du Sud-est asiatique), le monde invisible des esprits n'est pas imaginaire mais bien réel. Avec ce film, j'ai voulu rendre compte de cette "réalité laotienne" mêlant faits rationnels objectifs et événements issus de l'inconscient collectif. J'ai ainsi introduit un élément de la culture laotienne relevant d'une vision chamanique du monde : les phipop qui désignent des êtres fantômatiques se comportant comme des vampires et terrorisent les habitants des campagnes et des villes. Je souhaite que le spectateur occidental qui voit ce film s'interroge sur ce qu'il voit et entend : s'agit-il d'un documentaire ou d'une fiction ? C'est cette interrogation qui constitue pour moi le thème principal du film.

CATALOGUE ACID CANNES. 2005.

Tels les personnages hantés du film d'Alain Mazars, nous nous laissons aller doucement. Petit à petit, la rumeur de la ville s'efface tandis que les sons et les images prennent possession de nous. Nous abandonnons alors notre fauteuil de velours rouge pour pénétrer dans un autre monde, là où les forêts sont profondes comme l'inconscient. Nous rêvons avec le film. Nous flottons à travers les bois. Une sensualité discrète nous enveloppe tandis que les voix langoureuses de sirènes laotiennes murmurent à nos oreilles l'histoire des esprits anathèmes , les Phipops. Les voix nous entraînent, nous voulons les suivre, là où vivent ces hommes et ces femmes que l'on dit démons. Nous ne savons plus réellement où nous sommes, nous ne savons pas où nous allons, mais nous n'avons pas peur, c'est une agréable perdition. Nous aimons nous sentir basculer, quitter la réalité pour l'illusion, le réel pour la fiction. Puis, nous finissons par admettre que l'illusion est aussi une réalité, nous finissons par croire qu'elle fait partie de ces vies. Nous croyons que des papillons ont cousu les paupières d'une nonne aveugle ou que l'esprit d'un bonze habite le corps d'un jeune voyageur français. Il faut faire l'expérience Phipop, le voir autant que l'entendre, suivre le labyrinthe d'une histoire où les sensations comptent autant que le récit, bref, se laisser posséder par ce film étrange et habité, au risque de devenir des spectateurs Phipops. Charles Castella, cinéaste

POLITIS. 16 mai 2005.

La section ACID est cette année très suivie par le public. Sans doute, en partie, est-ce la conséquence du succès de QUAND LA MER MONTE, présenté à Cannes l'an dernier par l'ACID. Le film du jour est extrêmement étonnant : PHIPOP, Une histoire laotienne, du réalisateur français Alain Mazars. Le film a pour point de départ la présence des mauvais esprits (traduction du laotien "PHI") qui prennent possession des êtres humains. Je ne parle pas de croyances, mais de présences. Car au Laos, il s'agit d'évidences. Les Occidentaux cartésiens que nous sommes doivent faire preuve d'un peu d'hospitalité envers ce film. L'invisible, les présences intangibles, les esprits ont été totalement évacués de notre civilisation, depuis, disons, l'éradication des sorcières. Au Laos, "où les rumeurs se répandent vite et où les destinées se croisent toutes", ils appartiennent à la vie quotidienne. Et en particulier de la manière suivante: certaines personnes sont accusées par leur voisinage d'être des "phipop", c'est à dire des jeteurs de mauvais sorts. Le film commence comme un documentaire classique. Alain Mazars se rend notamment dans un village où se regroupent des "pestiférés", des malades rendus tels par un mauvais sort, ou des victimes de l'opprobre les désignant comme "phipop". Mais peu à peu, le point de vue change. Le cinéaste cherche à oublier sa structure intellectuelle d'Occidental, perd de sa distance, de son quant à soi, pour entrer en empathie avec la civilisation locale, avec son humeur. Comme il le dira lui-même dans le débat qui suivra, Alain Mazars se méfie des films ethnographiques, dont la coloration post-colonialiste est souvent présente. Ce qui signifie qu'il se prend au jeu des esprits. "Il s'agit pour moi de comprendre comment un esprit peut habiter un humain", dit-il dans son commentaire en voix off. "Mais c'est une question à laquelle on ne peut répondre sans franchir soi-même une frontière dangereuse." Il a alors recours à un récit fictionnel, qui met en scène des personnages rencontrés dans la première partie documentaire, et un jeune routard, qui devient son acteur principal. Un film franchement hors norme, très stimulant, qui montre en creux que le règne de la rationalité efficace appauvrit les façons d'établir sa relation au monde et au passé (donc aux morts).  Christophe Katcheff